Deux moines marchaient depuis l’aube, foulant les sentiers détrempés d’une vallée de montagne. La pluie s’était mise à tomber d’abord doucement, comme un voile, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que leurs pas résonnent dans la boue et que leurs manteaux ruissellent d’eau glacée.
Enfin, au crépuscule, ils atteignirent une petite auberge. Mais à peine eurent-ils accroché leurs manteaux dégoulinants à l’entrée qu’ils découvrirent, quelques instants plus tard, qu’ils avaient disparu.
Le premier moine, trempé jusqu’aux os, serra les poings :
Quelle injustice ! Après une journée si longue, voilà qu’on nous vole ! Qui peut être assez misérable pour prendre le peu que possèdent deux moines ?
Ses mots roulaient comme le tonnerre. Sa colère semblait plus lourde encore que la pluie qui battait la toiture.
Pendant ce temps, le second moine, silencieux, rassembla des morceaux de tissus usés que l’aubergiste avait laissés près du feu. Il s’assit, prit une aiguille, et commença à coudre patiemment, point après point, un manteau grossier mais chaud.
Intrigué, le premier finit par éclater :
Comment peux-tu rester si calme ? On nous a volés ! N’as-tu donc aucun respect pour toi-même ?
Le second leva les yeux, un sourire léger dans les plis de son visage fatigué :
Frère, le voleur m’a pris un manteau. Mais pourquoi lui donnerais-je aussi ma paix intérieure ? Un morceau d’étoffe peut être remplacé. La sérénité, non.
Le silence s’installa. Seul le bruit de l’aiguille qui perçait l’étoffe se mêlait à celui de la pluie qui tombait dehors.
Le premier moine, touché malgré lui, sentit sa colère se dissoudre comme un nuage percé de lumière. Il comprit alors que parfois, la véritable richesse ne réside pas dans ce que l’on garde, mais dans ce que l’on refuse de perdre.
Et toute la nuit, tandis que le vent gémissait à travers les volets, il médita sur cette vérité simple : on peut vous arracher vos biens, mais jamais votre paix… à moins que vous ne la cédiez vous-même.